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Ev@lang ou comment former les citoyens à l’époque de la mondialisation

© pixabay.com_hello
La note de service du 03 février 2021, relative à Ev@lang collège, officialise la mise en œuvre et précise les modalités de passation des épreuves de ce test de positionnement numérique en langues vivantes pour tous les élèves inscrits en classe de troisième. Le test, présenté comme un « test de positionnement adaptif en Langues Vivantes Etrangères entièrement en ligne » devait avoir lieu entre le 6 avril et le 28 mai 2021 mais a été reporté en 2022 en raison de la situation sanitaire. Constituant la mesure n°6 du Plan Langues Vivantes, dont l’objectif est « que les élèves maîtrisent mieux les langues vivantes grâce à une politique plus volontariste et plus coordonnée », ce dispositif concerne tous les élèves scolarisés en classe de 3ème, en collège ou en lycée professionnel, qui suivent un enseignement d’anglais en LV1 ou en LV2 et devrait permettre « d’objectiver les acquis des élèves en fin de cycle 4 selon leur niveau de compétence ( du niveau A1 au niveau B1 du CECRL ) » en compréhension de l’oral, compréhension de l’écrit et de compréhension orale, compréhension écrite et compétences linguistiques ( grammaire et lexique ). Par là même, ce test, obligatoire mais non certifiant, est censé fournir « une image du niveau atteint par une cohorte d’élèves dans les mêmes compétences au même moment. ». A l’issue de ce test, les élèves se voient délivrer une fiche de résultats les positionnant sur l’échelle de niveaux du CECRL dont l’objectif avoué est double : « encourager »les élèves et « leur permettre de progresser » et « proposer un outil de pilotage de la discipline » au niveau local, académique et national.

Ce nouveau dispositif appelle quelques remarques. La première est qu’il ne concerne que l’anglais alors qu’il s’inscrit soi-disant dans une politique linguistique « plus volontariste et coordonnée. » Le mot anglais, pour désigner la matière qui sera évaluée, n’apparaît curieusement qu’à de très rares endroits dans la note de service qui préfère lui substituer, dans une relation métonymique, l’expression Langues Vivantes. Indument nommé Ev@lang collège donc, ce test ne suggère-t-il pas aux élèves et à leurs parents que seul l’apprentissage de l’anglais mérite des efforts soutenus, voire un investissement total, reléguant de fait les autres langues que l’anglais au second rang ? Comment dès lors motiver les élèves à intégrer un parcours Bachibac, Abibac ou Esabac ? Si les modalités en sont différentes, l’esprit de ce test n’est pas éloigné de celui qui a présidé à l’élaboration du décret du 3 avril 2020 conditionnant l‘obtention du diplôme de licence à la simple passation d’une certification en langue anglaise pour tous les étudiants inscrits dans le supérieur (dispositif par ailleurs rendu obligatoire dès 2022 dans les sections de BTS).

Immanquablement, la politique linguistique actuelle de la France, résolument inscrite dans la logique du tout anglais, aura pour conséquence un appauvrissement de l’offre plurilingue qui existe encore et une standardisation des profils linguistiques des élèves et des étudiants. Imposer de fait l’anglais ne favorise pas la diversité linguistique et culturelle mais crée au contraire un moule : celui d’une pensée unique, de références communes, d’un univers commun. Il se pourrait même qu’Ev@lang collège ait un effet collatéral pernicieux sur les pratiques des enseignants en anglais qui auront à cœur de faire « bachoter » leurs élèves, afin d’assurer leur réussite aux tests, et videront ainsi, contre leur gré, leur enseignement d’une grande partie de son contenu culturel pourtant imposé par les programmes. Que penser d’un enseignement de la langue anglaise uniquement axé sur une approche pragmatico-pratique qui ne conçoit la langue que dans sa dimension véhiculaire ?

Car quel intérêt présente encore la culture des pays de langue anglaise ? Quel intérêt présente encore l’enseignement du fait culturel ? Ne convient-il pas avant tout de former les futurs citoyens du monde globalisé ? De les rendre aptes à s’exprimer dans ce business globish ou ce bad simple english désincarné, langue neutre et outil d’intercompréhension dans la communication internationale imposés par une élite mondialisée qui ne parle et ne pense déjà plus qu’en anglais ? « L’anglais est désormais la lingua franca, c’est comme ça. Il faut savoir parler anglais si on veut agir et bouger dans la mondialisation. » avait déclaré Édouard Philippe, Premier ministre, lors d’un déplacement à Lille en 2018…

Ne convient-il pas plutôt de résister à l’assaut globalitaire du tout anglais ? Imposer objectivement et dans les faits l’apprentissage de l’anglais au détriment des autres langues, c’est conforter l’hégémonie anglo-américaine sur le monde. Cela constitue également un manque de considération pour l’esprit européen et les différentes institutions de l’Union Européenne. Les mesures prises ces dernières années qui renforcent en volume horaire l’enseignement de l’anglais (comme la création de la spécialité LLCE lors la Réforme du Lycée qui n’est dans les faits bien souvent proposée qu’en anglais) vont littéralement à l’encontre des positions diplomatiques de la France en matière de diversité culturelle et linguistique. Souvenons-nous des discours et des déclarations des gouvernants, des accords bilatéraux passés avec d’autres Etats tels le Traité d’Aix-la-Chapelle de 2019 ou le Traité du Quirinal censés renforcer la coopération entre pays européens et notamment favoriser l’apprentissage en France de l’allemand et de l’italien, deux langues particulièrement mises à mal qu’il n’est cependant pas aberrant d’apprendre, ne serait-ce que parce que leur maîtrise favorise l’employabilité des entrants sur le marché du travail. Mais penser l’Europe, est-ce penser trop petit ?

Un enseignement en anglais de qualité, doté d’un horaire confortable, est une demande légitime des familles et des élèves. C’est également une revendication de la communauté pédagogique. Mais l’enseignement de la langue anglais ne doit pas se faire au détriment des autres langues. Il convient de rappeler aux dirigeants leurs engagements en faveur d’une vraie diversité linguistique. Ne les laissons pas trahir leurs propres discours et peut-être leurs intentions initiales.

D. Manns, responsable Langues Vivantes du bureau académique de Nancy-Metz

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