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LYCEE : l’enseignement à distance sonne-t-il le glas de la liberté pédagogique?

Depuis novembre, l’enseignement à distance a fait son retour au lycée. Et s’il permet théoriquement aux élèves comme aux enseignants de travailler dans des conditions satisfaisantes, tant d’un point de vue sanitaire que pédagogique, la réalité est loin d’être à la hauteur des ambitions qui ont été annoncées.

D’abord, on assiste, plus que jamais, à la mise en place de l’autonomie des établissements, et avec elle à la disparité de la qualité de l’enseignement : l’éducation, en ce moment au lycée, n’est plus guère nationale, mais s’organise et se pense au niveau de chaque établissement, générant des différences extrêmes entre les élèves, futurs candidats à ce diplôme encore national qu’est le baccalauréat. Certaines classes sont toujours en demi-groupes, d’autres alternent, en classe entière, des heures présentielles et distancielles : cela génère des contraintes pédagogiques si différentes que l’enseignement dispensé, et son contenu, ne peuvent plus être les mêmes.

Pour les professeurs s’ajoutent à ces contraintes a priori formelles et organisationnelles une pression immense : d’abord celle de la surcharge de travail, car apprendre, tout de suite, sans aide, de façon immédiatement efficiente, à faire cours avec de nouveaux outils, sous de nouvelles formes, est forcément extrêmement ambitieux et chronophage. Ensuite parce que les Inspections n’offrent pas toujours le soutien que l’on pourrait attendre d’elles dans cette situation, et ne jouent pas forcément leur rôle de conseillers pédagogiques. En outre parce que la Direction de certains établissements, en particulier lorsque les personnels de direction n’ont pas été professeurs, mettent en place une forme de surveillance délétère, imposant le cours distanciel, par exemple, pour « être sûre que les professeurs travaillent », reprenant ainsi sans vergogne la grande image du « prof fainéant ». Enfin parce que les parents, perdus face au nouveau système d’obtention du baccalauréat, inquiets de la part toujours plus grande du contrôle continu, contactent davantage les professeurs, grâce à ces fameux outils numériques, et parfois, voire souvent, sans respect ni pour leur fonction, ni pour leur travail, ni pour leur temps personnel.

En outre, cet enseignement hybride a poursuivi, dans notre profession, la neutralisation de la frontière entre la sphère privée et la sphère professionnelle. Lors du confinement du printemps dernier, beaucoup ont appris que travailler chez soi n’était pas la panacée, qu’il était alors difficile de « décrocher », de ne plus être au travail, puisque le travail est chez soi… Les enseignants, eux, le savent depuis longtemps. Mais si, avant, nous rapportions à la maison du travail personnel, pour lequel il était entendu que nous l’organisions comme nous le voulions, il n’en va pas de même avec l’enseignement hybride et les nouveaux outils numériques mis en place avec fierté par le Ministère : les classes virtuelles, bien sûr, se font à horaires fixes ; c’est là une contrainte pragmatique que l’on peut difficilement contourner… Mais que penser des mails incessants des élèves, des parents, de l’administration, qui arrivent sans contrainte horaire, et n’hésitent pas souvent à exiger des réponses sans délai ? Que penser, dans certains établissements, de la mise en place de réunions parents-professeurs s’étalant sur tous les soirs d’une semaine, et où les parents, évidemment, n’hésitent pas à exiger un horaire, un jour précis ? Où les professeurs, cette semaine-là, gardent-il un espace, un temps, pour leur vie privée ? Concrètement, prosaïquement, quand mangent-ils avec leur famille, lorsqu’on sait que forcément, un parent demandera bien un rendez-vous à 20h ?

A ces conditions difficiles, à ce mépris pour la personne du professeur, qui n’a droit à aucun temps de repos ni à aucune faiblesse, s’ajoute le mépris induit par les décisions tardives du Ministère pour l’aménagement des épreuves du baccalauréat : les enseignants de spécialités de terminale, si débordés soient-ils, n’avaient-ils pas bâti une trame de leur enseignement jusqu’au 17 mars, pour s’assurer que leurs élèves soient prêts au mieux ? Seulement cinq semaines avant les épreuves, on leur annonce qu’ils peuvent faire autrement, qu’il n’y a plus la même urgence, et que l’examen ne prend plus la même forme ! L’aménagement était nécessaire, mais il l’est depuis novembre ! Pourquoi attendre si longtemps pour l’annoncer, l’acter ? Et l’accompagner d’une foule de « garanties » d’égalité entre les candidats, qui sonnent le glas de la liberté pédagogique des professeurs, à en croire la lettre du Ministre aux enseignants de lycée ? Peut-être justement parce que l’urgence peut faire oublier l’atteinte à cet aspect si fondamental de notre métier, et tant mis à mal depuis des années.

Les merveilleuses machines, la merveilleuse technologie qui assurent pour nous la continuité pédagogique, sont si efficientes, peut-être, qu’il est tentant de nous demander de leur ressembler : tous pareils, obéissant bêtement, au mépris de tout bon sens et de toute adaptation à nos classes, nos matières, nos programmes, à un « process » qui sera le même pour tous… L’enseignement de spécialité Littérature, Humanités et Philosophie invite les élèves à se pencher sur les grandes dystopies du XXe siècle : peut-être devrait-on suggérer au Ministère de suivre, à distance bien-sûr, l’enseignement de cette partie du programme, et les inviter à lire ou relire 1984 et Le meilleur des mondes, clés d’interprétation à l’appui ?

S.E.

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